Un Anglais élu député français ?

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La courte biographie de Thomas Paine (1737-1809) montre qu'il a eu au XVIIIe siècle trois citoyennetés : anglaise, française et américaine. Bien qu'anglais d'origine, Thomas Paine fut élu député de l'Assemblée nationale en 1792, après avoir acquis la nationalité française en 1791.

On observe ainsi que le tournant nationaliste des États européens n'allait pas de soi : il y a eu des députés extra-nationaux et, à l'occasion d'une loi restreignant pourtant le droit des étrangers, Saint-Just (1767-1794) affirma à l'Assemblée : « Il faut que vous fassiez une cité, c'est-à-dire des citoyens qui soient amis, qui soient hospitaliers et frères. »

Avec la Révolution française, la souveraineté est peu à peu passée du corps du roi à la nation, comme l'atteste l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. » Dans Qu'est-ce que le tiers État ?, Emmanuel-Joseph Siéyès (1748-1836) identifie cette nation avec le corps fictif des représentants du peuple.

Dans une célèbre conférence de 1882 à la Sorbonne, intitulée Qu'est-ce que la Nation ?, Ernest Renan (1823-1892) tenta de la caractériser. Les exemples historiques montrent que la nation ne peut se réduire à l'identité d'un peuple, d'une langue ou à une continuité territoriale et qu'elle a une tout autre dimension : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

Communauté de passé, de présent et d'avenir, elle semble liée à la volonté de bâtir un avenir commun. Et pourtant, on doit prendre en compte la manière dont la nature de la nation tient à un type de projet politique, celui qui entend identifier l'État et la nation.

Or on ne peut croire qu'il y aurait naturellement une forme étatique correspondant à une nation : les aspirations à faire des peuples dont les racines émergent de référentiels ethniques dépassent de loin le nombre des États. C'est en ce sens qu'Ernst Gellner (1925-1995), dans Nations et nationalismes, montre en 1983 que le nationalisme est un projet politique qui veut faire de la nation le support de l'État : « le nationalisme est essentiellement un principe politique qui affirme que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes ». Mais cette opération suppose que les institutions se mobilisent à cet effet, comme l'institution scolaire qui construit, notamment au XIXe siècle, un référent culturel et politique commun : « il apparaît une situation où le système éducatif sanctionne et unifie des cultures qui représentent presque le seul type d’unité avec lequel, souvent avec ardeur, les hommes veulent s’identifier. »

Questions

  • Est-il si naturel de lier nationalité et citoyenneté ?
  • Selon Ernest Renan, « la nation est une âme » ; cela signifie-t-il qu'elle est une fiction ?
  • De quelle nature la nation vous paraît-elle être : juridique ? culturelle ? intellectuelle ou idéologique ? autre ?

Pour aller plus loin 

Une biographie de Thomas Paine : https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-republique-universelle-2021-1-page-37?lang=fr

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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